Panorama des tensioactifs dans les produits d’hygiène naturels

Quand on parle de produit lavant on parle souvent de tensioactif. Découvrez tous les tensioactifs disponibles, les problématiques qui sont associées et les pistes pour formuler des produits d’hygiène naturels.

Tensioactif : définition, fonctions et classement

Par définition, les tensioactifs sont des molécules possédant à la fois une affinité pour : l’eau (partie hydrophile) et l’huile (partie lipophile). En d’autres termes, les molécules tensioactives permettent de mêler deux phases qui n’ont, à l’origine, pas d’affinités l’une pour l’autre. Cette particularité leur permet ainsi d’assurer une fonction de nettoyage en s’accrochant aux corps gras, ceux-ci étant ensuite emportés dans l’eau de rinçage. Ils jouent donc à la fois le rôle d’émulsifiant et d’agent lavant.

Les tensioactifs peuvent avoir un rôle de :

  • Détergent : permet de décrocher les impuretés
  • Mouillant : facilite l’étalement du liquide sur une surface solide (exemple : la peau)
  • Moussant : permet de créer des bulles
  • Solubilisant : aide à solubiliser un ingrédient non-miscible dans un milieu (exemple : parfum)
  • Emulsionnant : facilite le mélange d’ingrédients non-miscibles entre eux (exemple : eau/huile)

Chaque tensioactif possède plusieurs de ces propriétés, mais toutes ne sont pas réunies avec la même intensité dans la même molécule. Certains tensioactifs sont plus détergents, mouillants et moussants, tandis que d’autres peuvent être plus émulsionnants ou solubilisants.

Il existe donc sur le marché une grande variété de tensioactifs, adaptés à la formulation de toute sorte de produits : savons, gels douches, shampooings, crèmes, démaquillant… La plupart des tensioactifs sont d’origine synthétique mais certains, de plus en plus utilisés, sont d’origine naturelle.

D’un point de vue chimique, les tensioactifs se classent en 4 groupes : anioniques, cationiques, amphotères et non ioniques. Ces groupes sont définis en fonction de la charge positive ou négative de leur partie hydrophile (attirée par l’eau).

Classement des tensioactifs

Anionique :

  • Définition : partie hydrophile chargée négativement
  • Propriété(s) principales : détergent mouillant moussants

Le tensioactif anionique est le plus courant. Plus onéreux, il possède une bonne activité détergente et moussante.

Cationique :

  • Définition : partie hydrophile chargée positivement
  • Propriété(s) principales : mouillant, émulsionnant

Les tensioactifs cationiques possèdent une affinité avec la kératine (présente dans les cheveux notamment), sur laquelle ils forment un film lisse. Ce type de tensioactif s’utilise principalement dans les soins après-shampoing.

Amphotère :

  • Définition :  partie hydrophile portant les deux charges, la nature de la charge varient selon le PH (cationique en milieu acide et anionique en milieu alcalin).
  • Propriété(s) principales : propriétés des anioniques et des cationiques mais à un degré moindre

Ce type de tensioactifs se composent majoritairement de bétaïne. Ils s’utilisent généralement dans les shampoings, les après-shampoings et les soins capillaires démêlants puisqu’ils présentent des propriétés démêlantes et lissantes.

Non ionique :

  • Définition : partie hydrophile ne possède pas de charge
  • Propriété(s) principales : mouillant et solubilisant

Ce type de tensioactifs s’utilise largement dans les produits démaquillants (eaux micellaires, lotions ou laits). Leur pouvoir moussant est en revanche moins puissant, mais permet de créer une mousse légère.

Effets indésirables des tensioactifs

Anionique : Les tensioactifs anioniques sont réputés pour être desséchants et parmi les plus irritants. Cependant, il ne faut pas oublier que le savon classique contient un tensioactif anionique, qui est créé naturellement lors du processus de saponification. Il s’agit du mélange d’huile végétale/soude. Toutefois, celui-ci reste naturel et biodégradable, ce qui n’est pas le cas du tensioactif anionique le plus répandu : le SLS ou Sodium Laureth Sulfate. Ce tensioactif puissant à un pouvoir très moussant, qui appartient à la grande famille des “Sulfates”.

Cationique : Les tensioactifs cationiques sont souvent réputés comme irritants pour les yeux. Autre contrainte pour les formulateurs : les tensio-actifs cationique et anionique ne peuvent pas être mélangés, car leurs charges opposées s’attirent formant des complexes insolubles.

Amphotère :  Les tensioactifs amphotères sont plus doux et moins irritants que les tensioactifs anioniques, mais peu moussants. Ces tensioactifs sont plutôt bien tolérés par la peau et ne piquent pas les yeux. En revanche, ils sont soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire d’interagir avec le système hormonal.

Non ionique : Les tensioactifs non ionique agressent moins la peau que les tensioactifs anioniques, qui les tolèrent mieux. Même s’ils sont plus doux, certains tensioactifs non ioniques peuvent perturber le système hormonal.

La forme galénique des tensioactifs

On trouve les tensioactifs sous forme solide (en poudre) ou liquide (plus ou moins fluide selon les tensioactifs). L’industrie propose majoritairement la forme liquide car cela facilite l’intégration de l’ingrédient dans les formules liquides qui représentent la majorité du marché (gels douches, shampooings, crèmes, démaquillants…). Cependant, depuis l’essor de la cosmétique solide (gel douche solide, démaquillant solide, shampooing solide), les fournisseurs proposent de plus en plus de tensioactifs sous forme de poudre ou paillettes. Mais pour les formulateurs, ces tensioactifs sont plus complexes à utiliser car plus concentrés et plus réactifs aux interactions avec les autres ingrédients de la formule.

  • Formules liquides : recours aux tensioactifs pré-dispersé en phase liquide, ils sont moins concentrés mais plus facile à intégrer et à solubiliser
  • Formules solides : recours aux tensioactifs sous forme de poudre ou de paillettes, ils sont plus concentrés et nécessitent souvent une phase de chauffe pour les intégrer de manière homogène aux autres matières premières de la formule.

Les tensioactifs d’origine naturelle

Les tensioactifs d’origine naturelle sont le compromis entre le prix, l’efficacité et l’impact environnemental. Globalement, les tensioactifs de synthèse sont issus de la pétrochimie, ils sont donc relativement polluants car ils sont peu biodégradables et libèrent en se décomposant des composés chimiques parfois plus toxiques que le produit initial. Il existe toutefois des alternatives fabriquées à partir de matières premières renouvelables (végétales comme le coprah, le palme ou le colza, les sucres, les acides aminés, …), qui présentent moins de risques pour la santé et qui sont plus respectueux de l’environnement.

Glutamates
La famille des glutamates regroupe un ensemble de tensioactifs fabriqué à partir d’acides gras de l’huile de coco et d’un acide aminé, le glutamate. Ceux sont des tensioactifs très doux, recréés à partir d’huiles végétales et de sucre. Ces tensioactifs ne sont pas toxiques et sont entièrement biodégradables.

Saponine
Il s’agit d’une substance extraite de la saponaire (plante herbacée) ou du bois de Panama (arbre exotique). Ces plantes ou arbres appartiennent au genre Sapindus, du latin sapo (savon) et indus (Inde). L’extrait de savonnier (Sapindus trifoliatus) était exploité par les peuples indigènes du nord-ouest de l’Amérique du Nord pendant des centaines d’années. Les noix de lavage de cet arbre étaient écrasées ou fouettées jusqu’à l’obtention d’une mousse épaisse et utilisées comme détergent. Certains industriels proposent toujours ce type d’agent nettoyant 100% naturel.

Il existe d’autres émulsifiants végétaux du types lécithine de soja/tournesol/colza ou encore de la protéine comme des dérivés de caséine très intéressants pour leurs propriétés émulsionnantes et leurs affinités avec la peau.

Dans l’ensemble ces tensioactifs doux et naturels sont coûteux, ils peuvent coûter 10 à 15 fois plus cher que les tensioactifs classiques issus de la pétrochimie. Ils sont rarement utilisés dans les produits d’hygiène car ils sont considérés comme étant de « première nécessité ». Ils sont vendus majoritairement en grande surface à des prix abordables pour le grand public.

D’un point de vue formulation, les deux principales difficultés rencontrées avec ces tensioactifs d’origine naturelle (comparé aux tensioactifs synthétiques), sont :

  • Le pouvoir moussant : Le pouvoir moussant des tensioactifs d’origine naturelle est plus faible que les synthétiques ce qui demande souvent de les combiner afin de maximiser la formation de mousse. C’est un critère très important auprès des consommateurs. En effet, dans l’esprit du consommateur, une mousse généreuse confère un sentiment d’efficacité du produit et facilite son utilisation.
  • Le visuel (transparence) : Il est plus compliqué d’obtenir des produits transparents avec les tensioactifs d’origine naturelle en raison de leur moins bonne solubilité dans l’eau. De plus, les tensioactifs extraits des végétaux possèdent souvent la particularité d’être marron ce qui colore les produits.

Les tensioactifs controversés

Les tensioactifs sont souvent décriés et pointés du doigt par la presse. Les consommateurs sont donc de plus en plus nombreux à étudier les étiquettes de leurs produits cosmétiques pour traquer les ingrédients indésirables.

Les tensioactifs sulfatés
Les sulfates ou tensioactifs sulfatés ont une puissante action détergente. Ils sont couramment utilisés pour le nettoyage industriel des sols et des moteurs. Ils sont un ingrédient de choix pour les industriels grâce à leurs avantages : peu couteux, moussants, bons pour la conservation et stabilisé des formules lavantes.

Ce que l’on lui reproche : Les sulfates sont trop « décapants » pour être utilisés au quotidien. Ils détruisent le film lipidique de la peau ou du cuir chevelu, l’empêchant de se reformer d’un lavage à l’autre. Ils contribuent donc à la déshydratation de la peau et à un déséquilibre de la production de sébum, car la peau réagit en excès, provoquant des comédons et des racines grasses.

Le tensioactif « SCI »
Le sodium cocoyl isethionate autrement appelé « SCI » est un tensioactif doux couramment utilisé dans la cosmétique solide, notamment dans les shampooings solides. Ce tensioactif possède de multiples avantages pour les formulateurs : peu couteux, moussant, origine naturel et conditionneur pour les cheveux.

Ce que l’on lui reproche : Le problème avec ce tensioactif relève davantage de sa fabrication que de son utilisation. L’un des composants nécessaires à sa fabrication (l’oxyde d’éthylène) est toxique pour l’homme et l’environnement. C’est d’ailleurs pour cette raison que tous les shampoings solides qui l’utilisent ne peuvent pas être certifiés Bio.

Le tensioactif « CAPB »
La Cocamidopropry Betaïne (CAPB) est un tensioactif amphotère dérivé de l’huile de Coco – le plus souvent de l’huile de Coprah – et de la Diméthylaminopropylamine (DMAPA) ou la Dimethylamine (DMA). C’est un ingrédient qui possède à la fois une fraction d’origine naturelle et pétrochimique. Il est souvent utilisé dans les gels douches et shampoings en tant que tensioactif secondaire. La Cocamidopropry Betaïne vient adoucir des tensioactifs plus agressifs comme les anioniques. Il a connu une effervescence à la suite des diverses polémiques sur les tensioactifs sulfatés.

Ce que l’on lui reproche : En raison de la présence de résidus d’Amines de Diméthylaminopropylamine dans le processus de fabrication, divers cas d’allergies cutanées voient le jour depuis quelques années, notamment auprès de certains professionnels (salons de coiffure). Une étude nord-américaine conclut à un taux d’allergie avoisinant les 6 %. Ces allergies se traduisent le plus souvent par de l’eczéma et différentes dermatites de contact au niveau du visage, de la nuque et du cuir chevelu.

La cocamidopropyl betaïne pourrait réagir avec d’autres composants pour former des molécules plus toxiques ou cancérigènes. Ainsi, amines et esters peuvent réagir et développer des nitrosamines, substances hautement cancérigènes. Cependant à ce jour, nous disposons de très peu de recul sur l’éventuelle toxicité de cet ingrédient sur l’Homme.

La position des organismes de la cosmétique

Cosmébio
C’est une association professionnelle dédiée aux cosmétiques naturels et bio qui utilise le référentiel COSMOS. Ce référentiel est le plus exigeant et il est utilisable au niveau international. L’organisme possède un avis très tranché concernant le SCI. Elle dénonce une démarche écologique non aboutie, mettant la santé et l’environnement en danger.

L’argument de Cosmébio est qu’au-delà du format du cosmétique, une composition de produit qui inclut certains tensioactifs, comme le Sodium cocoyl isethionate (SCI) va à l’encontre même d’une démarche responsable. Ce tensioactif, dérivé de l’huile de coco, est très répandu sur le marché des cosmétiques solides. Il permet de faire mousser le produit. Il est souvent marketé comme un ingrédient “green” malgré son interdiction dans la certification naturelle et bio, du fait de son procédé de fabrication qui fait appel à l’éthoxylation.

Cosmébio souligne :“Les dangers liés à l’oxyde d’éthylène pour l’Homme : un cancérogène très irritant et corrosif pour la peau et les yeux. Il présente donc un risque direct pour le travailleur au contact de cette substance.”

L’association ajoute que l’éthoxylation est un procédé lourd réalisé dans des conditions de températures et de pressions extrêmes. Ce procédé est aussi très polluant : il fait intervenir l’oxyde d’éthylène qui est très réactif et toxique.

Sa toxicité se retrouve indirectement dans la nature si les bonnes pratiques d’emploi ne sont pas respectées. De plus, les dérivés éthoxylés obtenus peuvent contaminer l’environnement avec la présence d’impuretés toxiques (1,4-dioxane, oxyde d’éthylène, etc.) pour les micro-organismes et les poissons.

Même si l’ingrédient final peut être considéré comme naturel et doux pour la planète, quel est l’intérêt si tout le mal a été fait dès sa création ?”, interpelle Cosmébio et lance un “appel à la raison aux industriels”.

Slow Cosmetique
C’est une association qui a pour but de rassembler les marques qui font l’effort de proposer des produits écologiques, sains et raisonnables tout au long de la chaîne de conception. Le respect du cahier des charges de cette association permet aux marques d’obtenir un “Label Slow Cosmétique” et sont ainsi référencées sur la plate-forme de vente en ligne éponyme (slow-cosmetique.com).

L’Association Slow Cosmétique ne tolère pas la présence de composés sulfatés de type ammonium ou sodium laureth sulfates dans les formules de ses marques labellisées. Néanmoins, les tensioactifs sulfatés de type sodium ou ammonium lauryl sulfate, acceptés par les certifications bio (Ecocert, Natrue…) sont de ce fait également tolérés par le Label. Il faut néanmoins qu’ils soient présents de façon isolée ou exceptionnelle dans une gamme de produits. La logique est la même pour le sodium coco sulfate.

 

Conclusion

Aujourd’hui encore 70% des tensioactifs sont issus essentiellement de la pétrochimie. Mais l’industrie de la cosmétique est à la recherche de nouveaux ingrédients qui répondent aux attentes des utilisateurs, c’est-à-dire des ingrédients issus de ressources naturelles et respectant la santé et l’environnement.

Le marché européen des tensioactifs s’élève à 2,5 millions de tonnes, et présente de belles perspectives de croissance en cette période post-COVID (qui a largement stimulé les préoccupations en termes d’hygiène personnelle et de propreté de l’environnement).

L’enjeux pour les industriels sera donc de trouver le bon compromis entre prix abordable, efficacité, naturalité et respect de l’environnement.

 

A lire également, notre dossier d’expert sur « Comment formuler un produit cosmétique naturel ».